Peter Morrens tout à son œuvre
À Louvain, le Musée M a invité l’artiste belge pour une rétrospective conçue comme une grande installation.
Louvain (Belgique). Le titre même de l’exposition avec ses lettres répétées comme dans un moment de suspension traduit bien la perplexité amusée de l’artiste devant son œuvre comme devant l’idée même d’une rétrospective. Pour sa première monographie dans une institution muséale belge, Peter Morrens a conçu une exposition à voir comme une gigantesque installation où il rassemble sans souci de chronologie ou de thématique peintures, sculptures, dessins, vidéos et installations produits en trente-cinq années de carrière.
Chez Peter Morrens, tout peut être sujet : un panneau routier, un événement d’actualité, une phrase de Baudelaire, une diapositive. Au détour de sa pratique artistique, il s’interroge et nous interroge sur la signification à donner au monde qui nous entoure et aux expériences que nous traversons. Il joue avec le langage de la même façon qu’avec les images, comme si, détournés de leur contexte, objets et images pouvaient répondre à ces interrogations. Il privilégie une touche picturale neutre, apparemment sans affect. Il ne cherche pas à bien faire ni à mal faire, explorant un entre-deux, une zone intermédiaire où l’exécution a moins d’importance que l’image.
Dans ce « grand tout » qu’est son exposition, Peter Morrens a été attentif à la circulation du public en créant des espaces et en découpant des fenêtres pour indiquer des points de vue. L’enfilade des salles est traversée d’une longue vitrine basse qu’il a appelée « Futur antérieur » et sur laquelle sont posés des objets et des œuvres empruntés à la collection du musée. Des Christ polychromes, des jarretières du XVIIIe siècle ou des maquettes d’architecture voisinent avec des œuvres de Jef Geys, Luc Deleu ou Constantin Meunier. Des objets authentiques alternent avec des reproductions tirées sur aluminium sans échelle de valeur, pour montrer que l’art fait partie de la vie et influence son œuvre, peu importe la forme qu’il prend.
En hauteur, un rail laisse coulisser un baffle où l’on entend fredonner à bas bruit une chanson française des années 1970, quand toutes les vingt minutes un « Hallo » sonore, mais pas agressif, vient briser la quiétude muséale. Il ne faut pas nécessairement de grands effets pour bousculer l’ordre établi…
Le long d’un couloir créé dans le parcours est posée une série de dessins au crayon et au fusain que l’artiste appelle des « covers ». De la même façon que les musiciens reprennent les chansons qu’ils admirent, Morrens copie les œuvres d’art. Pour rendre hommage autant que pour s’imprégner de ses héros artistiques : Picasso, Goya, Wolfgang Tillmans, Jeff Wall ou Marcel Mariën.
Né à Anvers en 1965, Peter Morrens s’inscrit dans une lignée artistique profondément belge qui comprend Marcel Broodthaers, Mariën ou Walter Swennen. On y retrouve ce plaisir à brouiller les pistes entre l’original et la copie, le passé et le présent, l’œuvre d’art et l’objet.
Dans la dernière salle avec vue sur les toits de la ville, le spectateur est invité à s’allonger ou s’asseoir sur des coussins pour y écouter sa sélection musicale en repensant à la vision poétique et ironique que l’artiste donne du monde.